Toi, tu fais semblant. Tu fais comme si ça ne t'atteignait plus, comme si elle ne te manquait pas, comme si. Mais faire comme si, y a un moment ça n'suffit plus. Mais tu préfères te voiler la face. Tu t'enterres dans le phare, tu sors Kenny à toutes heures du jour et de la nuit, t'essaies de plus penser à elle. Mais y a toujours un truc qui te la rappelle. Toujours son absence qui flotte autour de toi comme un fantôme. Y a Kenny dans le jardin, qui gambade comme un fou. Toi, t'es là, debout dans le salon, comme un chien errant. Tu passes la main dans tes cheveux bruns, les ébouriffes encore plus. Le carrelage sous tes pieds (toujours) nus te semble glacial. Ou peut-être est-ce que c'est seulement cette drôle de solitude que t'as pas l'habitude de ressentir qui te givre de l'intérieur. La journée est passée, trépassée, c'est l'infini. T'es rentré du phare, pour une fois, t'as choisi de ne pas dormir là-bas, ton dos commence à souffrir des nuits sur la pierre. T'es toujours obligé de rentrer quelques temps, quand tu restes un moment à passer la nuit là-bas, pour te remettre un peu. T'as l'air d'un vieux là, avec ta tisane à la camomille, quand on sonne à la porte. Tu jettes un coup d'oeil à la pendule murale – ton seul repère pour l'heure – et que tu constates qu'il est déjà tard, tu penses à Mo. Mo ou peut-être Badi. Mais quand t'ouvres la porte, que tu te retrouves face à Sidée, tu la considères un instant, ébranlé entre la surprise et la colère. Mais t'es fatigué d'être en colère. Alors, tu lui ouvres la porte sans un mot, incapable d'agir correctement. Kenny lui fait la fête, ton chien l'adore c'est un fait, mais en cet instant précis, toi t'es un peu pris au piège entre deux états contradictoires. T'as envie de la prendre dans tes bras, d'lui dire qu'elle t'a manqué. Et de la foutre dehors par la même occasion. « tu peux entrer, si tu veux. » murmures-tu d'une voix posée, en la regardant même si elle semble fuir ton regard, elle. Tes iris bleutés cherchent les siens, avant de se détourner vers la tasse que tu tiens, en silence.

Tes yeux clairs trouvent enfin les siens, comme deux mains qui ne se seraient plus étreintes depuis longtemps. Mais tes mains restent enfoncées dans tes poches, les insolentes. En vrai, t'es bien trop rancunier et têtu pour faire le premier pas. Au fond, t'aimerais lui dire que tu t'en foutais de cette fille, que c'est pas grave. Mais ton égo t'en empêche, et tu la considères en silence comme un juge en cour d'assise. Comme si c'était elle la coupable, et pas toi. Alors que tu l'es tout autant qu'elle, n'est-ce pas ? Sûrement n'aurait-elle pas fait ça si tu ne l'avais pas mise de côté. L'as-tu seulement fait ? T'en sais rien. T'en sais foutrement rien. Tu vois bien qu'elle s'en veut, et c'est insupportable, parce que tu n'sais pas être méchant. Pas gratuitement, comme ça, et sûrement pas avec Sidée. Tes yeux finissent par se baisser. T'as perdu, c'est un signe de défaite, de faiblesse. T'as envie de la serrer dans tes bras, parce que cette semaine t'a semblé interminable. Enfin, elle brise le silence, et tu ne dis rien pendant très longtemps encore une fois. Kenny s'agite autour de vous. Il veut jouer, vivre, danser, continuer encore. « allez, c'est bon. » fais-tu alors finalement, avec un soupir, comme pour lui dire que ça te fait chier quand même, alors qu'en vrai, t'en as marre de jouer ce rôle-là. Tu fais comme si c'était à contre-coeur alors que c'est un soulagement. Tu t'avances vers elle, et tu sais pas trop pourquoi et comment, mais t'attrapes sa main. Tes yeux viennent chercher les siens, légèrement inquisiteurs. « on oublie. » C'est pas vrai. Mais c'est ce qui sort d'entre tes lèvres. « mais t'amuses plus à faire ça. » Tu veux avoir l'air menaçant, alors que tes doigts serrent les siens avec une douceur contradictoire, et que ta voix ressemble plus à celle d'un enfant. « ma réaction a été un peu stupide aussi, pardonne-moi. » T'as envie de l'attirer contre toi, mais n'en fais rien.