stoned in paradise. (sid)

bordel de merde.
en retard, en retard, non non non.
pas encore une fois, tu peux pas, non.
allez fauve, cours, vole sur l'asphalte, ne laisse aucun obstacle te faire du tort
allez fauve, cours, cours, jusqu'à t'en crever les poumons,
écoute pas ce sifflement qui bouffe ta gorge, 
cours.
tu vois flou, ça va pas, t'es mal.
ta tête,
tes yeux,
ta gorge,
ton coeur,
tes jambes
baise la douleur fauve, fais pas la peureuse,
si tu dois crever aujourd'hui, si le là-haut pense que ton dernier souffle doit arriver, alors autant courir,
autant offrir tes jolis dessins, tes sentiments, tes tripes à quelqu'un.
ces gribouillages, ces visages, ils doivent arriver au marché le plus vite possible,
quoi ? quoi ?
oui, c'est la vieille qui chope toujours ta place qui te met dans cet état là,
c'est à cause d'elle que tu te sens mourir sur l'asphalte.
allez fauve, plus que quelques centaines de mètres,
promis juré ça va passer vite,
n'y pense pas,
songe au bonheur,
songe au destin, 
songe à l'amour,
tout va bien s'passer,
promis juré.

mais surtout ne laisse aucun obstacle te barrer la route.

le rugissement fauve retentit dans toute la rue, et tu couvres tes oreilles sourdes par le cri. tu tombes, tu vois rien venir, t'es là, mi-vivante mi-morte.

aïe mes jambes.
j'ai mal.
j'veux pas crever là.
pas comme ça,
pas ici.

tu te relèves, difficilement, tu regardes tes jambes nues pas trop abîmées par le choc, et lisses ta jupe de tes doigts fins et un peu écorchés. t'as eu plus de peur que de mal en fin de compte.
beaucoup plus de peur que de mal.
arrête de dramatiser, sale gosse.
tu scrutes l'horizon, une grimace dessinée sur tes lèvres. ça pique. c'est pas très doux comme sensation. et tu vois un vélo par terre, et une jeune fille qui te tourne le dos. tu savais même pas si elle était assise, couchée, en état de choc. tu mords ta lèvre. avec beaucoup de force. tu t'en veux, ça se trouve elle s'est fait mal à cause de ta bêtise.

sale gosse, tu es.

tu te diriges, lentement, très lentement vers la jolie blonde - elle avait l'air jolie, c'est joli les blondes, parce que t'as peur de sa réaction.
est-ce-qu'elle va pleurer ?
est-ce-qu'elle va laisser le courroux l'emporter ?
est-ce-qu'elle va t'offrir un beau sourire ?
m... mademoiselle, j'suis tellement maladroite, désolée, vraiment, vous allez bien ?
le feu déflagre sur tes joues, tandis que tu te permettais de poser une main sur son épaule. à première vue, elle n'avait pas l'air blessée, ni son vélo d'ailleurs, mais sait-on jamais. peut-être est-elle aussi stressée que toi.
t'as quand même cru que t'allais mourir, renversée par un vélo.

vole au vent, à toute allure. sur ton vélo. le soleil brûle ta peau, tes jolis cheveux blonds qui accompagnent ta course. C’est épuisant et pourtant si agréable, tu te sens vivante. Sur la route de la cabane au bord de l’eau, tu rentres chez toi, le panier devant est vide même si l’odeur qui s’en émane témoigne de la présence de quelques poissons, tu reviens du marché, ou t’as tout vendu, faut dire que les touristes se les arrachent tes doux animaux à chair tendre. Tu ne penses qu’à ta pêche, tu te remémores le nombre de client que tu as eu, tu essayes de te faire un ordre de grandeur histoire de savoir combien tu t’es fait à peu de chose prés. un poisson, deux poissons, trois poissons... Et c’est là que quelque chose perturbe ta course.
Tu ne regardais pas, t’étais ailleurs. Le cheval de fer tombe à terre et toi avec. Plus loin une jolie brune se relève doucement, tu fais de même avant de relever ton vélo, tu n’as rien et lui non plus, quelle chance, il fait partit des choses qui te permettent de vivre. Elle s’approche de toi, pose sa main sur ton épaule, tu sembles surprise mais, de peur de l’effrayer un tendre sourire s’affiche sur tes lèvres. Tu ne peux t’empêcher de regarder si elle n’a rien, et c’est en remarquant quelques égratignures que tu te mordilles la lèvre inférieure, gênée de l’avoir blessée. quelle idiote, j'aurais au moins pu regarder où j'allais. « non, non, c’est moi, je pensais à tout autre chose, je ne regardais pas où j’allais. je n’ai rien, mais je ne pourrais dire la même pour vous. je suis désolée… »

bordel de merde, tu peux pas t'en empêcher, ça va t'coller à la peau.
jusqu'au bout.
la sale gosse, tu penses qu'à toi.
toujours, toujours, toujours.
et puis après, tu t'lamentes,
tu t'plains,
tu dis que t'as mal, tu supplies l'monde pour un peu d'attention,
mais t'es naïve, fauve.
tu crois, t'espères, tu voles,
un peu loin,
et tu t'brûles les ailes, belle colombe.

ah ça brûle.

tu frottes tes genoux un peu blessés de tes doigts tannés, l'autre main posée timidement sur l'épaule de la jolie blonde.

elle est jolie.

et elle s'excuse à son tour, et elle porte le lourd fardeau d'la faute sur ses épaules. oh non, jolie fleur. arrête de dire ce mot, ce maudit mot.
oh non, ne t'inquiète pas, c'est moi, j'étais très pressée et je ne vous ai pas vue passer. mais je vais très bien, vraiment, et je suis contente que vous soyez...

et là, le malheur te prend de court.
un démon.

tes dessins. non.
non.

putain, non tout sauf ça.

par terre.
seuls.
abîmés.
écorchés vifs.
le sanglot qui t'monte à la gorge.
sale eau.
regarde-là, elle fait pleurer tes dessins.
la flaque sur le sol.
et tes généreux gribouillages qui lui offre une couverture, un peu d'chaleur.
elle te fixe, de ses yeux narquois, et la boue se fout de ton monde.
elle est lâche l'eau.
elle a peur de toi, alors elle se cache derrière ce voile noir,
ou bien cramoisi,
pour ne pas avoir à subir ton courroux.

c'est elle la sale gosse, pas toi.
l'eau impure.

ces pensées, elles ne font qu'un rond autour de ta misérable personne, tu serres les poings, ta gorge serrée, ton esprit boue sur place, et ton cœur se brise.

bordel.
tu dis jamais de vulgarités en temps normal. tu t'contentes d'intérioriser, et d'insulter l'monde dans ta tête. c'est mieux, on peut rien t'reprocher. parce que personne ne peut pénétrer dans ton p'tit monde un peu violent, tout est protégé, bouclé, fermé à clé. mais tes dessins. tes bébés. tu les regardes. et tu veux pas passer pour une folle. alors tu t'détaches d'eux, tu les abandonnes sur cette asphalte cruelle.

j'suis désolée. j'reviendrais bientôt, promis.

heum, pardon, j'suis désolée, mes dessins sont tombés, et j'pense bien que je n'vais absolument rien vendre aujourd'hui, du coup plus aucune raison d'être pressée haha.
ce rire, un peu ironique, qui cache de gros sentiments. tu t'voiles la face encore une fois, au fond t'es brisée, tu l'sais, mais tu te caches parce que tu veux pas faire fuir la jolie blonde. tu t'caches comme cette eau impure qui torture ton beau papier, ton petit bout d'bonheur.
tu tends la main à la belle plante, un sourire plus ou moins sincère dessiné sur tes lèvres nues, pour l'aider à se relever.
je m'appelle fauve, et vous ?