T'es allongé sur le sofa dans la salle à manger. Enfin allongé est trop beau pour décrire ta stature. Affaler serait plus correcte. Tes pieds dépassent des  , comme te l'avait expliquée Sidée lors de tes premiers jours en colocation. C'est une question de respect du mobilier. Y'avait des règles. D'habitude, tu serais parti en courant de cet endroit trop propre, trop rangé et trop tranquille, mais Sidée avait fait toute la différence. T'avais craqué. Elle était si naïve et gamine, non pas que t'avais pensé à la mettre rapidement dans ton lit, loin de là. T'avais su qu'il fallait que quelqu'un ait un oeil sur elle, ce petit brin de jeunesse, sinon il allait être secoué puis écrasé. Alors t'étais resté et tu ne regrettes rien. Pas même lorsque Sidée se met à te contempler, toi et la bande dessinée à la con que tu reluques. Tu ronchonnes un peu. Hmmm, arrête de me fixer Sisi, ça me déconcentre. Tu trouves que son surnom lui va parfaitement. Sisi, la petite princesse d'Onassis. La princesse a cependant changé au fil des années, car tu te souviens que c'est l'heure de vos entrainements de combats dans le jardins. Tu grognes une nouvelle fois. T'es pas en forme pour frapper de l'air et suer comme un taureau. Si Sidée n'était pas intervenue, tu te serais endormi. Pas maintenant. Faut pas te forcer à faire quelque chose sinon tu te mets en colère.

Tu es là à te tourner en rond, à te tourner les pouces. Tu fixes le vide, chantonnant un air entraînant. Tu ne le connais pas vraiment, mais tu as entendu un touriste le chanter. Tu profites du temps ensoleillé, t’amusant à tournoyer sur toi-même comme une gosse. T’aimes la sensation de l’herbe sous tes pieds, ton rire perce le silence. Tu t’écroules sur le sol morte de rire, attrapant de l’herbe entre tes doigts, tu te mets à l’arracher, comme lorsque tu étais enfant, une habitude qui ne t’es pas passée apparemment. Fermant les yeux pour exposer ton visage au soleil, tu relèves d’un coup la tête, une idée ayant germée dans ton esprit. Tu te lèves, puis te précipites dans ce qui ressemble le plus à une salle de séjour. Tu y vois Paquo, affalé comme une grosse larve sur le canapé. Pour changer. Tu l’aimes bien Paquo, c’est amusant de vivre avec lui. Tu aimes aussi lorsqu’il prend sa petite voix moralisatrice et qu’il te met en garde sur les dangers extérieurs. Il te fait rire, se bougre est étonnamment de bonne compagnie. Un grand sourire narquois s’étale sur ton visage enfantin en l'entendant râler. « Dis tout de suite que j’te fais de l’ombre ramon. » Ouai, en effet tu lui faisais de l’ombre, le pauvre avait du mal à se concentrer sur sa bande dessinée.  Tu lui demandes gentiment si vous pouvez vous entraîner à vous battre. C’était ta dernière lubie du moment. Ton coloc pas du tout emballer par ce que tu dis t’envoie paître avec le peu de diplomatie donc il est capable de faire preuve. Tu t’exclames alors : « Steu plait, j’voudrais tenter de nouvelles techniques, ça va être cool ! Allez, dis ouuui ! » Tu l’observes en le suppliant presque du regard, prenant ton air de petite fille sage, ce qui n’est pas compliqué.

La télévision, les émissions à la con, les séries mal réalisées te manquent encore énormément. T'essaye de les substituer par d'autres activités tel que les bandes dessinées -les romans avec six mille six-cent pages, c'est pas pour toi- et du sport. T'es devenu beaucoup plus actif sans la télévision. On dirait pas comme ça, mais ça bouffe un maximum de temps dans une vie. T'as l'impression de plus vivre, mais bon t'aurais bien voulu voir les derniers Marvel qui sont sortis ces dernières années. T'essayes donc d'apprécier le peu que tu possèdes, mais Sidée te distrait dans ta lecture. Tu pourrais faire semblant de ne pas la voir, de faire l'aveugle, mais ce n'est pas le genre de relation que vous avez. Chacun compte pour l'autre. Personne ne passe pour une ombre dans cette maison. Tu relèves la tête, l'air blasé, mais celui-ci se décompose immédiatement lorsque tes yeux caresse la bouille de Sisi. Ton coeur fond. Tu prends un air sérieux. Tu peux pas me faire ça. Tu grognes et fais une moue vexée. Tu craques à chaque fois qu'elle se met a faire cette tête. T'avais l'impression d'avoir affamé un pauvre gamin innocent pendant une demi-journée. Tu te lèves lentement, trop lentement. Bon, mais quelques minutes seulement, j'suis pas en forme aujourd'hui. En gros, tu préférais pourrir sur le sofa que d'être en forme. Tu traines des pieds jusqu'à l'extérieur. L'herbe te pique un peu les chevilles. Ça me graaaatte. Tu te plains, mais Sidée n'en démord pas. C'est qu'elle est devenue assez dynamique afin d'apprendre à se battre de son propre chef. Tu la comprends, c'est pas sûr d'être dehors toute seule pour une jeune fille. Ça le devrait, mais ça l'est pas, malheureusement. Tu veux pas qu'on lui fasse du mal, alors t'as pas hésité à te porter volontaire. Bon, on commence par quoi ? Bientôt, l'élève surpassera le maître.