won't you take me by the hand, take me somewhere new (neo)

(+) neo
won't you take me by the hand, take me somewhere new
i don't know who you are but i, i'm with you.
Je n'étais pas prêt à laisser file ma chance, là, alors que la pluie s'abattait avec violence sur mon corps. Mon affreuse chemise et mon minois dégoulinant, je ne m'étais jamais senti si près du but. Oh, vous deviez probablement vous imaginer toutes sortes de choses, alors laissez-moi vous parler de ce que moi je croyais. Ici, à quelques pas seulement, j'avais enterré mon trésor. Celui dont personne n'avait jamais entendu l'existence. Cela dit, je n'étais pas bien certain qu'il intéresserait qui que ce soit, hm. J'avais cinq ans, lorsque j'avais décidé d'enterrer ce que je croyais être mes biens les plus précieux. A l'époque, je me disais que je n'allais pas vivre bien vieux, probablement parce que j'étais trop différent des autres. Mais ça n'était pas grave, à mes yeux, il suffisait simplement de tout prévoir. Tout. Alors, armé de mes petits doigts boursoufflés, je m'étais mis à creuser, creuser et encore creuser, là, près de l'arbre couché, à côté de son tronc. Aujourd'hui, j'en connaissais encore le chemin, peut-être parce que chaque année, je m'y rendais pour enterrer une nouvelle bricole qui me tenait à coeur. Un jour, quelqu'un découvrirait peut-être toutes mes affaires, allez savoir. Je n'avais jamais pensé vivre aussi vieux, mais tant que mes pieds foulaient encore cette terre, je m'étais promis de toujours venir sacrifier un bout de moi, là, aux pieds de cet autel improvisé. Un enfant à l'imagination débordante. Ce jour là, j'avais amené un bracelet tressé. Oh rien de bien extraordinaire, mais je ne m'en passais plus depuis maintenant quelques mois. Me rendant sur place, j'avais ainsi commencé à dégager la terre à mains nues, bien décidé à offrir une tombe des plus confortables à ce petit éclat de mon âme. A vrai dire, j'avais réussi à m'en mettre jusque sur le visage. Il faut dire que le sol était plus boueux qu'autre chose, à cause de la pluie abondante. Mais rien ne pourrait m'arrêter, oh ça non. Aujourd'hui était un jour spécial.

Aujourd'hui est un jour spécial. C'est ce que tu te répètes, en boucle, dans ta tête. Pour ne pas croire qu'aujourd'hui sera pareil qu'hier. Pour ne pas te laisser abattre par la monotonie du quotidien, de la même façon que s'abat la pluie hors du phare. Tu passes plus de temps ici que chez toi. En même temps ici, t'es pas seul. Y a les murs, y a toutes les histoires qu'on y raconte, y a la lumière du dehors, et surtout, y a l'océan. Dans ta maison, y a qu'toi et les souvenirs perdus. L'absence de ton père, qui n'est jamais revenu. Alors tu préfères être ici. Kenny s'ébroue, il sent le chien mouillé mais t'as l'habitude. Il est trempé, comme toi, alors tu te secoues aussi, envoyant valser les gouttelettes de tes cheveux partout sur les murs froids. Mais tu reposes le carnet, t'es d'humeur à bouger aujourd'hui, pas à écrire. Et de toute façon, t'aimes la pluie. En venant d'Irlande, il vaut mieux ! « allez viens, kenny ! » t'écries-tu en t'élançant jusqu'en bas des marches. Tu les dévales, n'en rates pas une – tu les connais par coeur – et sors dehors. Tu te diriges vers la forêt, en courant. Comme un enfant, pour effacer la vingtaine d'années que t'as en trop, selon toi. La forêt t'englobe vite. T'es pas né ici, mais tu connais un bon bout du périmètre. Surtout celui qui entoure le phare et qui va jusqu'à le plage, quand la mousse se mêle au sable sous tes pieds. Parce que t'es toujours pieds nus, t'aimes pas porter des chaussures, Neo, une vieille habitude sûrement. Pas de montre non plus, à quoi ça peut servir, tout ça ? Tu te remets à marcher, un peu essoufflé. Et c'est là que tu le vois. Il est baissé, face presque contre terre. Tu n'sais pas ce qu'il fait. Est-ce qu'il prie ? Creuse ? Pleure ? Tu t'arrêtes, alors que Kenny continue, lui. Mais il connait le chemin, il ne se perd pas lui non plus. La pluie frappe la terre mouillée, frappe son dos, et t'as soudain envie de l'aider, de savoir ce qu'il fait. « est-ce que tout va bien ? » que tu cries presque, pour te faire entendre. Par-dessus la pluie, par-dessus le vent, par-dessus vos deux lots de pensées qui se cognent, comme les vagues sur la jetée. Comme quoi, t'avais un peu raison. Aujourd'hui est un jour spécial.